Aider les infirmier·e·s à gagner du temps et soigner leurs patients

Expérimentations Article 51 : des infirmières engagées.

L’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018 vise à encourager « des modalités de prise en charge innovantes ».

Article rédigé et publié par Actusoins.com le 23 Mars 2022.

L’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018 vise à encourager « des modalités de prise en charge innovantes ». ActuSoins s’est intéressé à cinq d’entre elles, qui impliquent des infirmiers. Cet article a été publié en juin 2021, dans le n°41 d'ActuSoins Magazine. 

Un peu plus de trois ans se sont écoulés depuis l’entrée en vigueur de ce cadre expérimental portant sur la réforme de l’organisation et du financement de notre système de santé. Ce dernier repose, jusqu’à présent, sur le financement des soins de ville, le financement hospitalier - fondé en partie sur la tarification à l’activité - et le financement du secteur médico-social. Mais alors que les parcours de santé des patients se mettent en place pour offrir une prise en charge globale, cette approche segmentée semble atteindre ses limites.

C’est là que l’article 51 entre en jeu : il permet d’expérimenter de nouvelles organisations en santé reposant sur des modes de financement inédits à condition qu’elles contribuent à améliorer le parcours des patients, l’efficience du système de santé ou encore la pertinence de la prescription des produits de santé. L’objectif est d’offrir aux acteurs du soin une opportunité pour tester de nouvelles approches en dérogeant aux règles de financement de droit commun, applicables en ville comme en établissement hospitalier ou médico-social.

Les expérimentations éligibles portent notamment sur la coordination du parcours de santé, la pertinence et la qualité des prises en charge sanitaire, sociale ou médico-sociale, la structuration des soins ambulatoires et l’accès aux soins…  Le législateur a choisi de faire de l’évaluation un élément majeur du dispositif « article 51 », en la rendant systématique. Les rapports d’évaluation viennent éclairer les avis du comité technique puis du conseil stratégique de l’innovation en santé sur les suites à donner aux expérimentations menées à l’échelle locale, régionale, interrégionale ou encore nationale, et sur l’opportunité de les généraliser.

Les expérimentations

© DR

Dijon Vascular Project (DiVa) (Bourgogne Franche-Comté)

L’objectif de cette expérimentation, qui implique sept établissements hospitaliers et les professionnels libéraux d’un territoire à cheval sur la Côte-d’Or et la Haute-Marne, est de proposer un suivi intensif aux patients ayant été victimes d’un accident vasculaire cérébral (AVC) ou d’un infarctus du myocarde (IDM). Elle repose sur le constat de la réhospitalisation trop fréquente des patients ayant subi un AVC ou un IDM en raison notamment de l’absence de suivi. Les patients se voient donc proposer un nouveau protocole de suivi, conjuguant coordination et coopération entre les médecins, pharmaciens et infirmiers, libéraux comme hospitaliers. Il repose sur plusieurs consultations avant la sortie d’hospitalisation, puis, après la sortie, aux semaines 1,2 et 3, puis à 1, 3, 6, 9, 12, 18 et 24 mois, en alternance entre l’hôpital et le libéral.

Côté hospitalier, le rôle de l’infirmier coordinateur DiVa consiste à repérer les patients pouvant entrer dans le dispositif et à recueillir leur consentement. Puis avant leur sortie, il effectue une consultation au cours laquelle « je m’intéresse à un grand nombre de scores comme l’apnée du sommeil, la dénutrition ou la malnutrition, la dépression, l’inobservance thérapeutique, le développement de troubles cognitifs, les troubles de la mémoire, la fatigue, la sédentarité, indique Alex Firmino-Sarazin, infirmier coordinateur DiVa, pour la partie neurologie, au CHU de Dijon. Je me concentre sur la pathologie en tant que telle et sur le suivi médical du patient. » 

Une fois de retour à son domicile, le patient reçoit la visite de l’infirmière libérale (idel) aux semaines 1, 2 et 3. Au cours de ces consultations, « nous prenons sa tension, nous nous assurons qu’il suit son traitement et nous évaluons son état de santé en général », rapporte Annick Pottier, vice-présidente de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) infirmiers Bourgogne Franche-Comté et idel à Vitteaux. L’idel transmet ensuite son compte-rendu à l’infirmier hospitalier par messagerie sécurisée. Il est alors mis à disposition de l’équipe, l’objectif à terme étant d’utiliser la plateforme e-tics. Au 6e, 12e et 18e mois, l’idel réalise une nouvelle consultation, plus longue cette fois-ci, afin d’effectuer une évaluation de l’état général du patient. Elle aborde les questions de l’alimentation, de l’essoufflement ou encore des capacités physiques. En parallèle du suivi infirmier, des consultations ont également lieu avec les médecins et les pharmaciens pour le suivi de la pathologie et du traitement.

La mise en place des consultations infirmières donne lieu à une rémunération complémentaires pour les idels. Aux semaines 1, 2 et 3, elles perçoivent 20.77 euros pour environ 20 à 30 minutes de consultation, auxquels s’ajoutent un forfait de déplacement. Aux 6e, 12e et 18e mois, les consultations étant plus longues (1h/1h30), elles touchent 53.50 euros ainsi que le forfait de déplacement.

Outre le suivi renforcé des patients, cette expérimentation permet à la ville et à l’hôpital de travailler ensemble et de mettre en valeur les compétences des idels. « Au sein de l’URPS, nous avons été séduits par l’amélioration de l’offre de soins, permise par cette expérimentation et du lien qui se noue entre les infirmières libérales et les structures hospitalières, lien que nous cherchons à construire depuis longtemps et que nous allons pouvoir développer dans d’autres domaines », assure Annick Pottier.

Suivi à domicile des personnes invalides ou patients âgées par les médecins traitants et les infirmières (Sarthe) (Pays de la Loire)

Les professionnels de santé de la Maison de santé pluriprofessionnelle du Mans se sont structurés au sein du Réseau de santé Mans Ouest (RSMO). « Les médecins de cette MSP se sont rendu compte qu’ils n’avaient pas la capacité d’absorber tous les patients des médecins partant à la retraite, notamment les chroniques ou les personnes âgées, patients devant pourtant être suivis en priorité », explique le Dr Pierre Blaise, référent Régional Article 51 à l’Agence régionale de santé Pays-de-la-Loire. Ils ont donc décidé de s’appuyer sur un système déjà instauré pour les patients des Ehpad.

Dans ces structures, une infirmière salariée effectue régulièrement un compte-rendu sur ses patients au médecin traitant. « Si tous les voyants sont au vert, il renouvelle l’ordonnance et se déplace uniquement en cas de problème »,explique le Dr Blaise.

Les médecins du RSMO ont décidé de transposer cette organisation en ville en s’appuyant sur les idels qui se rendent régulièrement chez les patients chroniques ou âgés. C’est le médecin qui inclut les patients qu’il considère éligibles : ils doivent être âgés de plus de 80 ans et ne doivent pas pouvoir quitter leur domicile ou être en situation de handicap.

La première visite au domicile est effectuée en binôme médecin/idel afin de mettre en place le plan personnalisé de santé. Un protocole prévoit ensuite les points de vérification mensuels par l’infirmière libérale. « C’est elle qui décide si le renouvellement de l’ordonnance suffit au regard de la stabilité du patient, s’il est nécessaire ou non de sortir du protocole, s’il faut organiser une téléconsultation ou encore programmer une visite du médecin », indique le Dr Blaise.

Dix visites mensuelles par l’idel sont prévues, auxquelles s’ajoute une visite annuelle avec le médecin traitant. La visite initiale et la visite annuelle au domicile du patient, conjointe médecin traitant/idel, sont facturées 100 euros répartis pour moitié entre eux la première année, puis 70 euros pour l'infirmier et 30 euros pour le médecin les années suivantes. Les dix visites de l’idel sont facturées 25 euros et un forfait de coordination de 75 euros est versé au médecin par an et par patient. « Ce protocole permet de réinscrire des patients dans les files actives », se félicite le Dr Blaise.

© DR

Lab’Parcours (Hauts-de-France)

L’expérimentation Lab’Parcours, d’une durée de cinq ans, concernent les médecins généralistes, les infirmières libérales et hospitalières, les pharmaciens d’officine, les cardiologues et/ou les diabétologues. Elle vise à encourager une prise en charge partagée et coordonnée des patients en insuffisance cardiaque ou souffrant de diabète de type 2 avec comorbidités. « L’objectif est de construire, autour du patient, une équipe coordonnée avec son médecin traitant, son infirmier et son pharmacien, et de faire le lien avec le spécialiste », explique Nicole Bertin, infirmière au CHU de Lille, chargée de mission Lien ville-hôpital dans le cadre de l’expérimentation.

Lorsque le patient est inclus, s’ils sont d’accord, l’ensemble des professionnels de santé sont mis en lien via une plateforme sécurisée d’échanges et de partage d’informations. L’IDE va alors effectuer un bilan infirmier, le pharmacien un bilan de médication et le médecin un résumé médical. Une fois ce travail effectué, les trois professionnels et le spécialiste du patient se réunissent au cours d’une synthèse interprofessionnelle concertée (SIC) afin de définir le plan de soins, validé par le patient.

Chaque équipe-patient comprend plusieurs professionnels, avec la possibilité de solliciter un avis auprès d’un spécialiste et d’obtenir rapidement une réponse via la plateforme. « J’ai intégré Parcours’Lab pour la prise en charge de l’une de mes patientes, indique Christine Anselyn, idel. J’apprécie la dimension relationnelle que m’apporte cette expérimentation qui me permet de connaître son médecin traitant, son pharmacien et son cardiologue. »

« Ma patiente a profité des conférences pour exprimer ses besoins, nous faire part de ses incompréhensions et de son problème d’alimentation car elle a pris du poids », ajoute-t-elle. Elle a ainsi pu être orientée vers un diététicien car « avec cette expérimentation, nous avons un forfait par patient permettant de financer un accès à des professionnels non pris en charge par la sécurité sociale », précise Nicole Bertin.

« Cette expérimentation facilite les échanges avec les professionnels de santé de ville et harmonise la prise en charge offerte aux patients, soutient Bérangère Kozon, infirmière coordinatrice au CHU de Lille. Le fait d’entrer dans une expérimentation nous permet d’analyser nos pratiques pour les faire évoluer au mieux. » A ce jour, environ 25 équipes pluriprofessionnelles sont constituées, soit plus d’une centaine de professionnels de santé concernés. Cette organisation donne droit à un financement spécifique pour les libéraux : les idels et les pharmaciens perçoivent 100 euros pour l’entretien approfondi et la synthèse interprofessionnelle.

CICAT’CORSE (Corse)

C’est l’URPS infirmiers Corse qui porte l’expérimentation Cicat’Corse. « Les idels sont au cœur de la prise en charge des plaies chroniques et complexes avec le médecin traitant », souligne Clarisse Goux, idel, trésorière de l’URPS. Mais elles peuvent se trouver démunies face à une plaie, aucune équipe spécialisée en cicatrisation ou aucun centre de cicatrisation n’étant identifiés sur le territoire. D’où le montage de Cicat’Corse qui se définit comme un dispositif de coordination et d’appui d’expertise aux professionnels de santé prenant en charge des patients à domicile ou dans les Ehpad, avec une plaie chronique ou complexe.

Dans son rôle de coordination, le dispositif Cicat’Corse, composé d’experts médecins, infirmiers et podologues, prend en charge l’appel du professionnel, quel que soit le type de plaie complexe. Puis, dans son rôle d’appui d’expertise, il préconise une prise en charge pour les patients.

Tout professionnel de santé, de ville ou d’établissement (médecins, infirmiers, pharmaciens, kinésithérapeutes, pédicures-podologues…) qui souhaite disposer d’une expertise complémentaire ou d’un avis, peut le demander, en sachant que l’acceptation du médecin traitant est un prérequis à l’inclusion du patient dans le dispositif. Cet avis donne lieu à une téléconsultation et le cas échéant une télé-expertise. « L’objectif est d’effectuer une téléconsultation avec un soignant au chevet du patient avec la guidance d’un expert de l’autre côté de la caméra », détaille Clarisse Goux. Pour permettre la téléconsultation par des infirmiers experts, Cicat’Corse a également recours à l’article 51 de la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) qui concerne les protocoles de coopération entre professionnels de santé.

Dans ce modèle, l’expert est rémunéré pour la téléconsultation. Mais s’il s’agit d’un infirmier, une partie de la rémunération est versée au médecin qui délègue l’acte de téléconsultation. La première téléconsultation devrait être rémunérée 60 euros puis 40 euros les deux suivantes. Côté libéral, l’idel sera rémunérée en fonction de sa nomenclature. « Notre grand défi est de faire évoluer les pratiques, de convaincre les idels d’utiliser la plateforme et d’intégrer ce nouveau dispositif dans leur tournée, indique Clarisse Goux. Mais je ne m’inquiète pas car je pense que les soignants sont toujours demandeurs de conseils. » 

Expérimentation de suivi à domicile des patients atteints d’un cancer et traités par immunothérapie (Auvergne-Rhône-Alpes)

Débutée en juin 2020 au Centre de lutte contre le cancer Léon Bérard (CLB) à Lyon, cette expérimentation d’une durée de cinq ans prévoit l’inclusion de 375 patients, pour le traitement de cinq types de cancers : poumon, rein, ORL, mélanome, lymphome de Hodgkin. Elle a été élaborée avec les URPS médecins et infirmiers Auvergne-Rhône-Alpes, l’Assurance maladie, l’ARS AURA ou encore le réseau Onco-Aura.

© DR

A l’origine, le CLB propose des traitements par immunothérapie à des patients atteints de cancers dans le cadre d’une hospitalisation de jour. Mais aujourd’hui, cette unité est saturée et les temps d’attente, importants. De fait, pour le CLB, il est important de proposer des prises en charge en ville, privilégiant ainsi le confort des patients qui peuvent rester à domicile pour la prise de leur traitement et évitent de nombreux allers/retours.

La construction du lien ville-hôpital

L’expérimentation article 51 offre justement l’opportunité de bénéficier d’un financement innovant sous la forme d’un forfait au parcours et de la mise en place d’une organisation sécurisée et coordonnée entre professionnels de santé libéraux et hospitaliers autour de trois séquences.

« Au cours de la première séquence de six mois, le patient reçoit son traitement en hôpital de jour et a aussi rendez-vous avec son oncologue référent à chaque cure d’immunothérapie », explique Pascale Sontag, adjointe à la direction des soins sur les parcours. C’est l’IDE de parcours du CLB qui assure son suivi concernant son traitement et les effets secondaires indésirables.

« Je le prends en charge afin d’évaluer la fragilité sociale, la dénutrition sévère, la souffrance psychologique ou encore la douleur, indique Marie Berlioz, IDE. L’objectif est de veiller à ce que les fragilités n’impactent pas son observance. » Son rôle consiste aussi à appeler le patient la veille d’une cure afin de vérifier son bilan sanguin. Pendant cette phase, le patient bénéficie de séances d’éducation thérapeutique (ETP) avec deux ateliers à domicile dispensés par des idels.

A l’inclusion du patient dans l’expérimentation, l’infirmière coordinatrice lui demande donc s’il est déjà en contact avec une infirmière libérale. « Si ce n’est pas le cas, je dois en trouver une qui accepte de participer à l’expérimentation, tâche qui n’est pas toujours facile », soutient Marie Berlioz. Une cartographie a d’ailleurs été élaborée pour identifier facilement les idels formées à l’ETP. C’est le cas d’Annick Salignat, idel dans la région, qui a été contactée par le CLB pour le suivi de patients. « J’ai effectué des séances d’ETP pour trois d’entre eux, mais entre-temps, deux sont sortis de l’expérimentation », souligne-t-elle.

« Lors de ces séances, détaille-t-elle, je réalise une évaluation du domicile et de l’environnement social du patient et j’insiste sur les effets indésirables du traitement, sur les signaux d’alerte à reconnaître et sur la nécessité pour les patients de communiquer sur le sujet. » Comme l’ETP n’existe pas dans la nomenclature des idels, l’expérimentation permet de les rémunérer 50 euros par atelier. « Je joue le jeu car dans notre métier, certains actes sont bien payés et d’autres moins, reconnaît Annick Salignat. Mais si à terme cette expérimentation se généralise, j’espère que nous serons mieux rémunérés, sinon ils ne vont pas trouver d’idel pour faire l’ETP à domicile. »

Avant le passage en séquence 2, l’IDE du CLB s’assure que les informations de l’atelier d’ETP sont bien acquises par le patient et, un mois avant, elle prévient ses collègues de l’HAD qu’ils vont bientôt prendre le relais.

L’implication des libéraux

Dans la séquence 2, l’immunothérapie est dispensée à domicile par l’Hospitalisation à domicile (HAD) du CLB, en présence de l’idel. Dans l’intervalle, le patient revient trois fois à l’hôpital pour voir son oncologue et il est suivi une fois chez son médecin traitant. Ce sont les infirmières coordinatrices de l’HAD qui assurent le lien avec le patient et les idels. « Nous intervenons avec l’HAD pour entrer dans la phase concrète du soin à domicile », explique Annick Salignat.

Enfin, dans la séquence 3, l’ensemble de la prise en charge s’effectue en libéral, par les idels et le médecin traitant. L’HAD n’intervient que pour la logistique et la livraison du traitement. L’infirmière libérale devient donc l’interlocutrice principale du patient qui voit aussi deux fois son médecin généraliste pour un suivi intermédiaire et qui se rend trois fois à l’hôpital (début, milieu et fin de la séquence) pour une consultation avec son oncologue. Dans cette séquence, le suivi des idels ne donne pas lieu à une rémunération forfaitaire complémentaire puisque le suivi à domicile fait partie de leur nomenclature.

« L’objectif est vraiment de mettre en place une coordination ville-hôpital entre tous les acteurs de la prise en charge », indique Pascale Sontag. « Même s’il n’est pas évident d’intégrer ce suivi dans une tournée, je suis vraiment satisfaite de participer à cette expérimentation d’autant plus que l’ETP est difficile à mettre en place au domicile en libéral », confie Annick Salignat. L’ensemble des professionnels échangent sur le suivi du patient via une messagerie sécurisée.

Laure Martin

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