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Article rédigé et publié par Infirmiers.com le 08.06.2021.
Un récit qui témoigne de l’inquiétude face à un virus inconnu, de la fatigue et de la douleur de perdre de nombreux patients. Mais aussi des tranches de vies plus joyeuses grâce à la solidarité entre soignants. Entretien avec Célia, infirmière en pédiatrie et néonatologie.
Quelle est la genèse de votre bande dessinée "Le journal de Célia, infirmière au temps du covid et autre récits" ?
Avec Caroline, l’illustratrice de la BD, on jouait au rugby ensemble. Nous parlions de nos métiers respectifs. Après m’avoir écoutée, elle m’a dit qu’il y avait de nombreux éléments autour du métier d’infirmière dont personne ne se doutait selon elle. Au mois d’octobre, elle m’a fait la proposition suivante : Est-ce que ça te dit de raconter des anecdotes sur ton métier ? Je les illustre et on poste ça sur ma page Instagram ?
Les petits épisodes du Journal de Célia ont pris une ampleur démesurée. Nous avons été contactées par les éditions Vuibert pour en faire une bande dessinée. Dans les épisodes diffusés sur Instagram (Mademoiselle Caroline (@mademoisellecaroline.bd) - Photos et vidéos Instagram), nous faisions principalement référence au covid, mais lorsqu’il a fallu organiser les planches de la BD, j’ai eu envie de parler de mes débuts, de mon envie d’être infirmière. Il y a beaucoup d’infirmières qui se retrouvent dans ce que nous avons écrit et dessiné. Quand on vient d’obtenir son diplôme, on n’intègre pas tout de suite le service de nos rêves. Il faut acquérir de l’expérience ailleurs avant de retenter sa chance. Ce qui a été mon cas. J’ai d’abord travaillé en neurologie avant d’intégrer la pédiatrie et la néonatologie.
Lorsque les premiers cas de covid sont arrivés en France, votre service comme beaucoup d’autres se sont réorganisés. Ce qui a donné lieu à des situations inhabituelles, voire cocasses…
Un matin, on a eu une réunion de service pour nous informer de la nécessité de réorganiser tout l’hôpital car les cas de covid commençaient à arriver. En pédiatrie, nous avons eu une grosse baisse d’activité. Avec l’isolement, le port du masque, la désinfection des mains, les virus ont beaucoup moins circulé. Il y a eu moins de bronchiolites, de gastro-entérites. Ce sont des pathologies qui occupent quasiment la totalité des lits en hiver habituellement. Sur 24 lits de pédiatrie, seuls 5 ou 6 étaient occupés. Du coup, les chefs de service nous ont demandé de prêter main forte dans les services qui en avaient besoin. Il fallait réorganiser les parcours pour les patients. Cela a commencé par les urgences avec l’installation de tentes à l’extérieur. Ensuite, il a fallu séparer ce qui était appelé circuit propre
du circuit sale
en condamnant des portes ou en tendant des bâches en plastique pour éviter que des particules circulent entre le "propre" et le "sale". Nous sommes infirmières, nous ne sommes pas habilitées à faire tout cela. Un jour, j’étais avec une collègue en train d’installer une bâche et un personnel de la sécurité est venu nous interrompre car nous étions en train de mettre du scotch sur une porte incendie. En plus de notre travail habituel et de la pause de bâches, on devait faire le tour des services de l’hôpital pour récupérer des surblouses, des gants, des masques, des respirateurs pour les donner aux services qui accueillaient des patients positifs au covid-19.
Vous êtes infirmière en pédiatrie et en néonatologie. En quoi la pandémie a-t-elle perturbé votre exercice ?
Avec le covid, nous avons été amenés à aider un peu partout au sein de l’hôpital. Pour ma part, j’ai déjà eu des patients adultes car j’ai travaillé en neurologie pour adultes mais pour d’autres collègues, infirmières puéricultrices depuis 20 ou 30 ans, la prise en charge était déstabilisante. Dans les services adultes, les constations de décès par la famille se faisaient à travers une photo au début. Puis des médecins ont commencé à craquer par rapport au protocole. C’était atroce de voir des gens partir seuls. Les médecins ont donc accordé un droit de visite de cinq minutes aux familles. Pour revenir à mon service, tout était différent. On a eu des parents qui ne pouvaient pas venir rendre visite à leur enfant car ils étaient contaminés. On a dû s’adapter en envoyant des photos régulièrement, en tenant un journal pour raconter la journée de l’enfant. Nous avons aussi aidé les secrétaires médicales dans les déprogrammations des opérations ou rendez-vous non-urgents. Passer la journée dans un bureau au téléphone ou à envoyer des mails, ce n’est pas ma conception du soin mais nous devions le faire. Le plus dur, ça a été le décès de Martin (le prénom a été modifié). C’était un enfant suivi dans notre service depuis longtemps. Il avait une pathologie chronique et avait été opéré plus petit. Il effectuait régulièrement des examens et devait subir une nouvelle intervention. A la vue de ses derniers résultats, il a été convenu de reporter l’intervention de quelques semaines à cause du covid. Entre temps, il est décédé. Cet événement a été tragique pour toute l’équipe et nous avons ressenti beaucoup de culpabilité. Sans le covid, il ne serait probablement pas décédé.
Cette BD est aussi empreinte d’humour. Parlez-nous de la tenue baptisée comme j’aime
, celle qui fait perdre du poids…
Nous sommes habitués à mettre des surblouses, des gants, à nous protéger lorsqu’on a des cas de tuberculose ou de galle. Mais la tenue comme j’aime
spéciale covid tient tellement chaud qu’on perd des calories, rapidement repris grâce aux pâtisseries que les restaurateurs nous offraient. La tenue « comme j’aime » c’est une charlotte sur la tête, des lunettes de protection, un masque FFP2, une surblouse, des chaussons en plus de notre tenue d’infirmière. Retourner des personnes, c’est assez physique avec ce type de tenue. On avait de la buée sur les lunettes, il fallait se mettre en apnée pour ne pas avoir de la buée le temps d’une prise de sang par exemple.
Avec la crise sanitaire, les burn-out des infirmiers ont augmenté. Nombreux sont ceux qui expriment le souhait de changer de profession. Est-ce votre cas ?
Je comprends totalement l’épuisement professionnel qu’il y a dans la profession. Les conditions sont très difficiles et je comprends que certains collègues envisagent de changer de métier. J’ai des exemples dans mon entourage. En ce qui me concerne, je ne me vois pas faire autre chose. Je ne changerais de métier pour rien au monde. Ma spécialisation d’infirmière puéricultrice me plaît énormément. J’adore travailler avec les enfants et les tout-petits et ce malgré les horaires compliquées et la charge de travail qui augmente.
Le Journal de Célia, infirmière au temps du COVID, et autres récits. Illustré par Mademoiselle Caroline, Célia, mai 2021, Editions Vuibert., 14, 90 euros. En librairie le 25 mai 2021.
Inès Kheireddine
Journaliste
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