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Article rédigé et publié par Actusoins.com le 16 Février 2021.
Les communautés professionnelles territoriales de santé sont censées permettre aux soignants libéraux de mieux se coordonner pour améliorer leurs prises en charge à l’échelle d’un territoire. Pour beaucoup d’infirmiers, ce concept reste encore très flou. Mais d’autres se sont pleinement engagés dans ces nouvelles organisations. À eux la parole. Ce dossier est initialement paru dans le n°36 d'ActuSoins Magazine (mars 2020).
1000. C’est le nombre de communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui, selon le plan « Ma Santé 2022 » présenté par Emmanuel Macron à l’automne 2018, doivent mailler le territoire national d’ici la fin du quinquennat.
L’enjeu : éviter que les professionnels de santé libéraux ne travaillent chacun dans leur coin. Il s’agit donc de donner aux soignants les outils nécessaires à se coordonner, non pas à l’échelle de leur patientèle comme dans une maison pluriprofessionnelle de santé (MSP), mais à l’échelle de populations dont la taille est comprise entre 20 000 et 200 000 habitants.
Une gageure, diront certains infirmiers libéraux (idel) qui préfèrent attendre de voir ce que les CPTS vont donner pour s’y engager. Mais d’autres ont au contraire décidé de mettre les mains dans le cambouis.
C’est par exemple le cas de Laetitia Carlier, idel installée à Bergerac en Dordogne et présidente d’une CPTS qui couvre 38 communes et 64 000 habitants. « Tout le monde a beau crier sur tous les toits que les libéraux ont l’habitude de discuter les uns avec les autres, la réalité du terrain est différente et chacun a plutôt la tête dans le guidon, constate-t-elle. La CPTS doit nous permettre d’avoir une réelle ouverture, un dialogue concret entre professionnels. » Voilà pour la théorie. Mais dans les faits, qu’est-ce que les CPTS changent à la pratique des infirmières ? Qu’est-ce qui est amélioré dans les prises en charge ?
Pour répondre à ces questions, il faut d’abord définir plus précisément ce que sont les CPTS. Celles-ci prennent le plus souvent la forme d’une association loi 1901, et ont pour vocation de rassembler l’ensemble des professionnels de santé de ville d’un territoire. Il s’agit de répondre à l’émiettement du secteur ambulatoire, constitué de dizaines, voire de centaines de soignants indépendants les uns des autres.
Ceux-ci peuvent grâce au nouvel outil s’organiser comme bon leur semble afin de répondre aux besoins spécifiques de leur population, et reçoivent de l’Assurance maladie des moyens financiers s’ils remplissent certaines missions comme, par exemple, l’amélioration de l’accès au médecin traitant ou la prévention (voir encadré).
Connais-toi toi-même
Au-delà des moyens financiers, beaucoup d’infirmiers membres de CPTS constatent que le simple fait de mieux connaître les professionnels qui travaillent alentour a des implications concrètes sur leur pratique.
Sandrine Beaudier, idel installée dans le 13e arrondissement de Paris et membre de l’une des premières CPTS à avoir vu le jour, considère par exemple que « ce qui change, avant tout, c’est le carnet d’adresses ». « Nous échangeons beaucoup plus avec les autres professionnels : assistantes sociales, généralistes, kinés…, détaille-t-elle. Avant, on se retrouvait régulièrement seul face à des cas difficiles alors que, maintenant, on sait qui appeler et on trouve de l’aide. »
Et les infirmiers ont tout à gagner à ce dialogue. « Grâce à la CPTS, les autres professionnels ont davantage conscience de nos problématiques », avance Laetitia Carlier. Elle cite par exemple le cas de médecins qui n’avaient pas compris les problèmes de cotation des infirmiers et notamment la règle de non-cumul. « Certains se disaient que plus ils rajoutaient d’actes, plus cela nous arrangeait, alors qu’en réalité cela nous complique parfois la vie. On a pu leur apprendre qu’il y a des choses inutiles sur leurs ordonnances », explique la Bergeracoise.
Des outils de communication
Autre avantage d’une meilleure interconnaissance entre professionnels : les CPTS devraient permettre de mieux orienter les patients. C’est en tout cas ce que prévoit de faire la CPTS « Centre-Essonne ».
« L’un de nos projets est de mettre en place un outil de coordination », explique Hermann Mbongo, idel à Évry et co-président de la structure. « Les patients qui cherchent un cabinet qui fait de l’accompagnement en fin de vie, des soins de suite, ou encore des soins aux enfants, pourront être orientés, ce qui fluidifiera les parcours. »
Un projet qui ressemble à celui qu’entend mettre sur pied la CPTS de Colomiers, en Haute-Garonne. « Nous aimerions avoir une base de données nous permettant de mieux répondre aux demandes des patients », détaille Carole Marre, idel de la commune qui travaille sur ce projet. « Il s’agira d’un annuaire des professionnels nous permettant de mieux communiquer et de nous solliciter entre nous. »
Cap sur la prévention
Mais les CPTS n’ont pas pour unique vocation de permettre aux professionnels de santé d’un même territoire de mieux se connaître ou de mieux se parler. Ils sont rémunérés pour mettre en œuvre des projets bien réels. Et parmi ceux dont parlent le plus spontanément les soignants, on compte les projets liés à des activités de prévention.
La CPTS du 13e arrondissement de Paris, par exemple, à laquelle appartient Sandrine Beaudier, organise un parcours de dépistage dans les foyers de travailleurs migrants et les centres de réinsertion présents sur le territoire.
« C’est un parcours organisé où nous vérifions l’ouverture des droits, nous faisons des dépistages sur l’hyperglycémie, l’hypertension, de la prévention sur le tabac, etc. », explique Sophie Dubois, pharmacienne qui coordonne cette CPTS. « Des médecins et des infirmiers libéraux y participent pour des vacations de quatre heures, rémunérées 50 euros de l’heure quelle que soit leur profession. » Sandrine Beaudier, par exemple, déclare participer à ces activités « sur [ses] jours de repos environ une fois tous les deux mois ».
Et bien sûr, chaque CPTS axe ses actions de prévention en fonction des problématiques de santé spécifiques à son territoire.
La CPTS Centre-Hérault, par exemple, fait porter ses efforts sur le diabète. « Nous avons une infirmière qui a un DU [diplôme universitaire, ndlr] d’ETP [éducation thérapeutique du patient, ndlr] », explique Christelle Crépin, infirmière installée dans la commune de Gignac et présidente de la CPTS. « Elle a aujourd’hui une dizaine de patients et nous avons décidé qu’avec les fonds que reçoit la CPTS, elle aura une rémunération supplémentaire pour développer cette activité. »
Le temps et l’argent
Il ne faudrait cependant pas voir dans la CPTS une baguette magique permettant à des soignants libéraux, le plus souvent surchargés, de détourner une partie du temps qu’ils consacrent à leurs patients pour s’occuper des problèmes du territoire. Dans un premier temps du moins, leur mise en route ne peut passer que par un engagement presque militant. « Pour l’instant, c’est du bénévolat », confie par exemple Carole Marre à Colomiers. « C’est une démarche volontaire, on dépense beaucoup d’énergie et de temps à glaner les informations, mais je suis sûre qu’on en sortira meilleurs. » Même son de cloche à Gignac. « Nous avons discuté de l’indemnisation du temps que nous passons en réunion mais, pour l’instant, nous n’avons pas assez de fonds », indique Christelle Crépin.
Et il ne s’agit pas uniquement d’une question d’argent, comme le constate Christophe Allirol, idel à Courcouronnes qui co-préside la CPTS « Centre-Essonne » avec Hermann Mbongo. « L’un des principaux freins au développement de la CPTS est le manque de temps de certains professionnels qui sont débordés, fatigués, et qui se sentent peu reconnus dans leur pratique, regrette-t-il. Il faut les amener à relever la tête, leur faire comprendre que perdre deux ou trois soirées en réunion peut à terme leur faire gagner beaucoup de temps. »
Même type de difficultés dans la CPTS du 13e arrondissement de Paris. « Ce n’est pas toujours facile pour certains de modifier leurs pratiques, surtout quand on a un modèle économique ancré », remarque sa présidente Sophie Dubois. Celle-ci prend l’exemple de nouveaux parcours de prise en charge de la personne âgée incluant de la télémédecine et un suivi infirmier à domicile, mis en place par la CPTS. « Il y a une rémunération prévue, mais cela suppose pour les infirmiers de lâcher certaines choses qu’ils faisaient auparavant pour en faire de nouvelles, ce qui est souvent plus facile pour les professionnels les plus jeunes que pour les autres », constate la pharmacienne.
Gouverner ou être gouverné
Christelle Crépin, à Gignac, constate aussi une certaine fracture générationnelle. « Il y a certaines personnes, notamment celles qui sont de l’ancienne génération ou qui sont un peu isolées, qui ne veulent pas s’impliquer, qui ne voient pas l’intérêt des CPTS, déplore-t-elle. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que si on n’intègre pas les CPTS, d’autres le feront à notre place : ce seront des administrateurs qui ne connaissent rien à la santé qui prendront les décisions pour nous. C’est pour cela qu’il faut que nous soyons nombreux et nous avons tous intérêt à en être. »
Sa consœur Carole Marre, de Colomiers, fait le même constat. « Depuis dix ans que je suis idel, je constate que, si on ne bouge pas, les informations ne viennent pas à nous et il n’y a pas d’évolution. On continue alors à faire toujours le même métier, explique-t-elle. Il faut donc sortir de nos cabinets et voir les solutions qui sont proposées. » D’où son engagement dans la CPTS. Et il faut aussi comprendre que les CPTS peuvent être un outil au service des soignants. « On a beaucoup de collègues déprimés, fatigués, et je pense que notre CPTS pourrait faire un projet pour le bien-être des soignants, pour une fois », rêve par exemple la Parisienne Sandrine Beaudier.
Impossible ? Pas forcément : la CPTS sera ce que les professionnels en feront, veut-elle croire
Adr ien Renaud
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